Kim est concentrée. Mais pas tant que cela. Ses pensées vont évidemment vers la balle de service de Laura Robson, mais elles s’évaporent déjà un peu.
Kim regarde la balle de la jeune Anglaise de 18 ans. La frappe, veut la mettre dans le terrain, mais l’émotion la submerge. Elle n’est pas à 100%. Elle sait que ce point, peut-être, est le dernier en simple de sa carrière.
Que, sur le Central de l’US Open, où elle a triomphé à trois reprises, elle est sans doute en train de vivre ses derniers instants de joueuse de tennis.
La balle de Robson avance. Kim la fixe. Mais pas comme d’habitude. Kim la frappe, mais pas comme d’habitude. Kim l’accompagne, mais pas comme d’habitude.
Et la balle s’envole. S’envole.
Pour Robson, cela va vite.
Pour Clijsters, cela va lentement.
Pour Robson, il s’agit de la première énorme victoire d’une carrière qui commence.
Pour Clijsters, il s’agit de la dernière défaite d’une carrière qui s’achève pour la deuxième – et dernière – fois.
A 18 ans, Robson sort une star, une championne.
A 29 ans, Clijsters s’en va face à une jeune femme, pas encore star, pas encore championne.
Dans la quiétude relative de Robson, on pouvait, pour ceux qui s’en souviennent, revoir un peu cette Clijsters qui, en 1999, avait joué contre Steffi Graf en huitième de finale de Wimbledon.
La balle de Kim, donc, s’envole. Lentement pour Kim.
Qui la suit et qui, du coin de l’œil, revoit toutes les joies de sa carrière.
Quand, très jeune –j’ai eu la chance de le vivre avec elle – elle s’amusait dans le player lounge de Flushing Meadows. Se roulant dans les divans.
Quand, un peu plus âgée, elle ne parvenait pas à vaincre sa rivale de toujours, Justine Henin.
Quand, joueuse confirmée enfin, elle y décrocha son premier titre en Grand Chelem, qui se refusait tant et tant à elle.
Quand, de retour après sa première retraite, elle y a retrouvé la gloire et la saveur des grands succès.
Du coin de l’œil, Kim aperçoit son clan, son mari, son manager fidèle. Qui sont stressés plus qu’elle. Qui l’ont soutenue tout au long des dernières années.
Elle voit, toujours du coin de l’œil, cette foule américaine qui l’applaudit, la vénère, l’adore.
Et, du coin de l’œil, elle repense à cette carrière démentielle, à ces heures d’entraînement. A sa sœur Elke qui a dû arrêter si tôt sa carrière. A sa maman championne de gymnastique. Et à son papa, surtout. Feu Leï Clijsters, celui qui a sans doute le plus compté dans sa carrière de joueuse.
Il n’était pas simple, le Diable Rouge, pas commode, mais il a toujours su aider sa fille à garder la tête sur les épaules.
Quand, petite, Kim revenait avec un trophée, il pouvait lui dire : « c’est bien, ton trophée, mais il faut rester calme, j’ai été en demi-finale de la Coupe du Monde de foot, alors, ma petite Kim, continue à travailler. »
On ne se prend pas la tête chez les Clijsters, on vit dans un monde sportif où les trophées sont légion.
Et Kim repense à tout cela.
A ces titres qu’elle a sans doute ratés, qu’elle aurait pu gagner.
« Mais, disait-elle, une joueuse de tennis a le droit de perdre, il n’y a pas que cela dans la vie. »
Parfois, cette vision des choses pouvait énerver. Parfois, on aurait aimé – et j’étais dans le cas – qu’elle soit plus focalisée encore sur son seul tennis.
Mais Kim n’a jamais tout abandonné pour son sport. Ce n’est ni Henin, ni Graf, ni tant d’autres. Elle aime sa vie, ne la fuit pas. Est maman et va retrouver son rôle de mère à temps plein d’ici quelques jours, après ses doubles.
Oui, Kim aurait pu avoir un palmarès plus impressionnant. Elle aurait même dû.
Mais et alors ?
Vous savez bien, vous qui lisez ce blog, que je regrette la gestion de sa fin de carrière. Que je regrette les erreurs qui ont peut-être été commises au cours des seize derniers mois.
Mais, comme je le disais hier pendant son dernier match, tout cela n’a plus d’importance puisqu’il est impossible de revenir en arrière.
Alors, non, je ne dirai pas que cette sortie est triste pour une championne comme elle.
Elle est partie face à une excellente espoir mondiale. Sur SON Central.
Et la balle de Kim s’envole.
Elle est dehors. Robson exulte.
Kim n’est pas complètement défaite. Elle a même un sourire en coin.
Elle savoure ce moment fugace qui vous fait revivre une magnifique carrière.
Elle transmet le témoin à sa cadette.
Tombe dans ses bras.
Le public est debout, conscient de voir s’en aller une championne, une amie, une femme souriante.
Kim est émue, parle de sa nouvelle vie au micro de Pam Shriver. Elle dit un mot de son banc, de son papa.
Elle se dit prête à sa nouvelle vie.
Elle l’est. Car Kim Clijsters n’a jamais couru derrière des chimères.
Elle a toujours su quelle place devait avoir le sport dans sa vie.
Elle est fidèle à ses envies.
Je répète que cela m’a parfois énervé mais aujourd’hui, ma seule pensée va à ces belles années offertes par Kim et Justine.
Je ne suis pas nostalgique, je ne suis pas triste, je ne suis pas amer.
La Belgique a pu présenter deux championnes extraordinaires, si différentes dans leur approche du tennis.
La Belgique du tennis va un peu devoir être patiente.
Mais il nous reste tant de beaux souvenirs et tant de belles choses à attendre.
Hier, dans les tribunes réservées aux Last 8 (les joueuses ayant été au moins en quarts du simple ou en demi du double), Dominique Monami regardait le dernier match de Kim.
Dans quelques années, Kim regardera le denier match de Mestach, ou de Van Uytvanck, ou de Bonaventure, ou de Goffin, ou de Coppejans, ou d’un joueur que l’on ne connaît pas encore.
La page se tourne.
La balle de Kim est out.
Mais la vie de Kim est in.
Que c’est beau le tennis.