Retour

Mes champions (2): Olivier Rochus

Il est haut comme trois pommes. Déjà.

Il est haut comme trois pommes, blond comme les blés.

Il est haut comme trois pommes, et, sur un terrain du sud-Luxembourg, ou d’ailleurs, il participe à un tournoi de poussins. Ou de pré-minimes. Un tournoi ou un rassemblement, peu importe.

A ses côtés, une certaine Justine Henin.

Poussine, elle aussi.

Olivier et Justine, deux poussins couvés – du regard – par Jean-Pierre Collot, entraîneur mythique de l’Association Francophone de tennis. Inventeur – ou père – du mini-tennis. Théoricien génial mais, surtout, précepteur de bons conseils.

Il est haut comme trois pommes. Elle aussi.

Et ils échangent des balles. En mousse ? Intermédiaires ? Je ne sais plus. Je ne sais plus parce qu’ils ont un tel bagage technique, du haut de leur 6 ou 7 ans, que les spectateurs, dont je suis, sont subjugués par leur jeu, leur adresse, leur faconde. Leur plaisir, aussi, à jouer.

Pas jouer pour gagner. Jouer pour jouer.

Contrairement à tant d’autres de leur âge, ces poussins s’amusent déjà de leur talent, de leur toucher.

Olivier et Justine.

Il est haut comme trois pommes.

Il a grandi, mais les autres ont pris de l’avance. Qu’il ne rattrapera jamais. Il est haut comme trois pommes et, du haut de son socle à peine surélevé, il voit la vie d’un autre angle.

La vie et le jeu.

Le jeu et le terrain.

Et, donc, fatalement, obligatoirement, il développe d’autres armes que la puissance, que le service, que la violence des frappes.

En gamin, il était petit.

En juniors, il était petit.

En adulte, il est toujours petit.

Et alors ?

Cette taille lui a ouvert des horizons. Alors que d’autres toisent le monde du haut de leur double mètre, que certains vous regardent dans les yeux forts de leur puissance,  lui, espiègle et un rien joueur, sourit dans sa barbe naissante, lance un regard de biais, analyse finement et distille ses dards.

Il est petit. Certes. Mais l’abeille l’est aussi, ce qui ne l’empêche pas de piquer.

Non, l’exemple n’est pas bon. Car l’abeille, quand elle pique, elle meurt. Olivier, lui, a piqué. Souvent. Très souvent. Mais n’est jamais mort.

On aurait pu croire, à différents moments de son incroyable carrière, que son dard ne se régénérerait jamais. Mais son art, lui, n’a pas de limite.

Alors il a piqué. Piqué, piqué.

Demandez donc à Magnus Norman, Marat Safin ou Novak Djokovic ce qu’ils en pensent, eux qui étaient numéros 2 mondiaux lorsque Rochus les a battus.

Demandez aussi à Roger Federer, alors numéro 1, ce qu’il en pense, lui qui a dû batailler trois tie-break durant pour venir à bout de ce joueur peut-être aussi doué que lui.

Il est haut comme trois pommes.

Une pomme par jour, dit-on, en forme tous les jours.

Tous les jours ? Il a, Olivier, disputé 34 tableaux finals de Grand Chelem d’affilée de Wimbledon 2000 à l’US Open 2008.

34 tableaux finals. Soit plus de huit ans de suite. Soit plus de huit ans sans énorme blessure.

Il s’agit, sans nul doute, de la statistique la plus phénoménale d’Olivier Rochus.

On pourrait dire aussi qu’il a été 24ème mondial (NDLR: seul Malisse avait alors fait mieux que lui, David Goffin aussi désormais)-. Qu’il a gagné un Grand Chelem en double (tiens, avec Malisse). Qu’il a remporté deux tournois.

Mais non, 34 tableaux finals de Grand Chelem d’affilée.

Haut comme trois pommes. Solide comme un chêne.

Doué.

Doué ? Vous plaisantez, ou quoi ? Le mot est bien trop faible.

Il y a des joueurs, comme cela, qui ne jouent pas vraiment au tennis. Qui sentent le jeu, sont le jeu. Transcendent le jeu.

Federer, bien entendu.

McEnroe, sans aucun doute.

Et, moins fort, mais tout aussi génial, il y a Olivier Rochus. Qui joue avec la balle. Avec sa raquette – une long body comme Chang – . Qui joue, aussi, et cela les insupportait même s’ils étaient  admiratifs, avec ses adversaires.

Qui ont essayé de s’en défaire. Parfois avec succès mais jamais avec facilité.

Il est haut comme trois pommes.

Mais il en a gagné des matches. Il en a fait souffrir des joueurs.

Haut comme trois pommes mais résistant.  Très résistant.

33 ans. Il part.

Trop tard ? Vous voulez rire, encore ?

S’il était parti plus tôt, il n’aurait pas gagné le double face à l’Ukraine .

Il  n’aurait pas joué le feu mercredi devant un public conquis.

Il n’aurait pas joué le double de ce dixième Ethias avec son pote Steve Darcis.

Parti trop tard…. N’importe quoi.

Quand on aime le jeu, que l’on sent le jeu, que l’on est le jeu, il n’est jamais trop tard pour partir.

Car un joueur a le droit, indiscutable, de perdre.

Sauf qu’un talent pur ne perd jamais vraiment. Mercredi, encore, il a distillé quelques retours venus de nulle part et il a construit des échanges que d’autres n’auraient même pas imaginés en rêve.

Il est haut comme trois pommes.

Solide, disais-je, ce qui ne l’a pas empêché, mercredi et jeudi soir, de trembler.

Et, dans ses discours, il a évidemment remercié le public, ses entraîneurs,  ses proches mais, aussi, bien entendu, son mentor disparu bien trop tôt. Jean-Pierre Collot.

Bravo, Oli, tout simplement. Bravo pour cette carrière phénoménale.

Haut comme trois pommes.

Mais l’ombre qu’il va imprégner dorénavant sur le tennis belge laisse à penser que le pommier porteur de ces trois pommes n’a pas DE cime.

Merci.