Je vais vous proposer quelques portraits très personnels e champions belges que j’ai eu le bonheur de rencontrer au cours de ma carrière. Je commence par Justine Henin.
Justine, c’est une championne hors norme, une femme hors norme, une vie hors norme.
Ma mémoire n’est plus ce qu’elle a été et je ne pourrais donc pas préciser exactement la date de
ma première rencontre avec Justine. Il ne s’agissait d’ailleurs pas réellement
d’une rencontre puisque je ne lui ai pas parlé cette fois-là, mais bien d’une
découverte. J’étais déjà journaliste – principalement pour le magazine Play
Tennis pour qui je couvrais les régions de Namur et de Luxembourg. J’avais
appris que deux ‘prodiges’ disputaient un tournoi dans un des clubs de
ces deux régions et je me suis dit que ce serait sympa d’aller jeter un œil.
D’autant qu’étant prof de tennis, je me suis toujours méfié des propos catégoriques
affirmant qu’un gosse est un champion en herbe. Un peu comme Saint Thomas, j’ai
donc voulu me rendre compte de la valeur réelle d’un certain Rochus et d’une
certaine Henin.
Quand je suis arrivé sur place, j’ai tout de suite compris que je n’étais pas le seul à
vouloir me faire mon opinion. Ils étaient en effet nombreux, non pas les
journalistes, mais bien les responsables fédéraux et autres amoureux de tennis
à avoir eu la même idée que moi.
Ce jour-là, pourquoi mentirais-je ?, je n’ai pas été réellement subjugué par Olivier
et Justine qui devaient avoir 7 ou 8 ans, guère plus. D’autant qu’ils jouaient
sur des terrains de mini-tennis et que je n’étais pas encore suffisamment
familier avec cette pratique pour pouvoir juger.
Pendant les quelques années qui ont suivi ce tournoi, j’ai bien évidemment beaucoup entendu
parler de Henin. Diantre, allant de club en club en tant que journaliste, il
était fréquent que quelqu’un évoque cette jeune « garçon manqué » qui
étonnait tant par son look que par son jeu tout en finesse.
Un peu plus tard, c’est lors d’un tournoi organisé au RAEC Mons que j’ai réellement
rencontré Justine. J’ai échangé quelques mots avec elle mais, surtout, j’ai
beaucoup devisé avec José, son papa. Petit à petit, nous avons appris à nous
connaître et nous avons été assez proches pendant quelques années. Tout comme
je me suis toujours senti très proche de Carlos Rodriguez, le coach de Justine.
Après Mons, il n’était pas rare que je parle avec José et Justine. Soit par téléphone, soit de
vive voix. Il faut savoir qu’à l’époque, nous sommes alors au milieu des années
90, il n’y avait pas beaucoup de journalistes exclusivement tennistiques. Moi,
en tant qu’indépendant, je couvrais tant le tennis national que l’international,
c’est dire que j’étais souvent dans les parages de Justine et de son clan dont
Thomas, son frère, avec lequel je m’entendais également assez bien.
En 96, j’ai mis sur pied la première grande exhibition tennistique uniquement belge- Tennis Sida
Cancer. Cela se passait au Royal Tennis Club Binchois. Nous invitions les
meilleurs joueurs belges et les meilleurs espoirs du pays. Justine a évidemment
été plusieurs fois de la partie, ce qui m’a permis d’encore mieux la connaître.
L’entente était telle que, à la veille de son premier titre de championne de Belgique, en 1997
– elle a battu Dominique Monami -, José m’a demandé si je ne voulais pas un peu
briefer sa fille par rapport aux médias. Je me suis donc rendu chez une tante
de Justine, dans le Brabant Wallon, à la veille de ce qui allait être la
première victoire médiatisée de la jeune Rochefortoise. Je me souviens très
bien de la manière dont j’ai abordé la presse et des conseils que j’ai conférés
à Justine. Je reconnais, après coup, que ce n’était sans doute pas à moi de la
prévenir des dangers des journalistes mais je n’ai pas de regret. Si ce n’est
que je pense être un rien responsable de la tendance qu’a eu Justine de
répondre quasiment toujours la même chose.
Toujours en 1997, j’avais le plaisir d’être consultant tennis pour la RTBF. Aux côtés de
Benoît Liénard, j’ai vécu la folle aventure de Filip Dewulf. Deux jours plus
tard, les responsables d’une chaîne numérique française m’ont demandé d’être le
consultant de la finale juniore qui opposait Justine à Cara Black! Les Français
qui ont suivi ce match ont dû me trouver particulièrement énervant tant j’ai
laissé apparaître ma faiblesse pour la joueuse belge qui avait battu Nathalie
Dechy en demi.
Quelques semaines plus tard, Benoît Liénard et moi nous sommes rendus à Rochefort pour
réaliser un des numéros de l’émission 40-15 – le premier magazine télévisé
belge consacré uniquement au tennis. Dans un premier temps, j’ai demandé si je
pouvais échanger quelques balles avec la jeune joueuse… Elle avait l’air
étonnée mais elle a accepté et je dois à la vérité d’écrire que je menais 3-2
lorsque nous avons arrêté. Bon, ok, j’étais B0 et elle était encore jeune mais
je range tout de même cela dans le rayon de mes beaux souvenirs.
Cela étant, ce ne sont pas tant ces quelques jeux qui ont valu le déplacement. L’ambiance
était extraordinaire entre les membres de la famille Henin et l’équipe de la
RTBF. A tel point que, dix ans plus tard, je me demande encore comme nous
sommes rentrés de Rochefort. Car, pour rappel, Rochefort est également le nom
d’une bière assez forte…
Toujours en 1997, il y a eu la mort de Lady Di, le 31 août, très exactement. Pourquoi
évoquer ce drame ? Parce que, pour moi, il est lié à une soirée mémorable
avec Justine et son papa. Je me rappelle très bien qu’elle avait été assez
choquée d’apprendre l’accident et la mort de la Princesse. Nous avons tout de
même pas mal ri car, sur les chaînes américaines (Justine disputait alors le
tableau juniors de l’US Open duquel elle a atteint les quarts de finale), on
entendait « Candle in the wind » d’Elton John quasi en boucle, ce qui
était un rien lassant. Après avoir regardé les infos dans sa chambre d’hôtel,
nous sommes allés manger ensemble. Je pense me souvenir que nous nous sommes
attablés au All Stars Cafe à Time Square mais je n’en suis pas certain.
Plus Justine avançait dans la jungle du tennis féminin, plus je me rendais compte que
quelque chose ne tournait plus rond. Que l’ambiance bon enfant qui régnait dans
le clan était perturbée par un je ne sais quoi de troublant. Que les relations
intrafamiliales avaient l’air de se distendre. J’en ai régulièrement parlé à
Carlos, mais en tant que confident, non en tant que journaliste.
Tout me semblait aller à vau-l’eau et personne n’osait bouger le petit doigt et mettre le débat
sur la table. Pourtant, le problème était clair : la relation entre José
et Justine Henin se tendait et pouvait nuire à la carrière de cette dernière.
Que l’on m’entende bien : je ne disais pas que José ne faisait pas tout pour
sa fille, je n’avançais pas qu’il n’a pas sacrifié beaucoup pour sa championne
de fille. Non, simplement, j’avançais qu’être père de star en devenir n’est pas
chose aisée et que, parfois, la seule solution est de se retirer sur la pointe
des pieds afin de laisser la jeune pousse trouver elle-même son terreau.
Oui mais voilà, ce qui est évident quand on est à l’extérieur peut paraître cruel quand on est
à l’intérieur. D’autant que, je le répète, personne n’osait évoquer le sujet de
vive voix. Ni même Carlos pour la simple et bonne raison qu’un coach ne peut
pas être – directement ou indirectement – responsable de l’éventuelle bisbille
entre sa joueuse et la famille de celle-ci.
C’est au soir d’une défaite assez logique au premier tour de l’US Open que j’ai compris qu’il
fallait que les choses bougent. Justine venait de perdre contre Amélie
Mauresmo, ce qui n’avait rien de déshonorant et, pourtant, l’ambiance dans le
player lounge était détestable. Je me suis tourné vers Carlos et, par un
échange de regard, nous nous sommes compris. Deux jours plus tard paraissait
dans La Libre Belgique un éditorial assez sévère dans lequel je disais, en
substances, que « l’avenir de la carrière de Justine résidera dans sa faculté à s’éloigner du giron
paternel »
On imagine bien évidemment que cet article n’a pas plu au papa de Justine et je dois
reconnaître que j’aurais été davantage inspiré si je lui en avais parlé au
préalable. Je pense cependant que cela n’aurait alors pas eu le même
impact sur Justine.
Assez logiquement, José a déposé plainte pour diffamation contre moi et m’a réclamé
500.000 francs belges. Plainte qui n’a pas été suivie d’effet. En tous les cas,
je n’ai jamais été condamné pour diffamation, ni dans cette affaire, ni dans
tout autre, d’ailleurs.
Quelques mois plus tard, Justine prit la décision de quitter la maison familiale.
Mais, assez logiquement, elle s’est également un peu éloignée de moi après la parution de
ce commentaire. J’ai appris par la suite qu’elle était loin de m’en vouloir (au
contraire même) mais nous n’en avons jamais reparlé. Il n’est pas simple,
faut-il le souligner ?, de lire dans la presse des critiques vis-à-vis de
ses parents même si l’on sait que ces critiques ne sont pas dénuées de sens.
Mais le respect est toujours demeuré entre elle et moi. Ainsi qu’entre Carlos et moi. Son premier
mariage ne changea d’ailleurs rien à ce respect. Je me suis d’ailleurs assez
bien entendu avec Pierre-Yves.
Cela étant, dès juin 2001, j’ai arrêté de suivre le tennis de manière quotidienne. Ben oui, après 12 ans consacrés presque exclusivement à
ce sport, j’ai arrêté de le suivre journalistiquement exactement quinze jours
avant la demi-finale entre Kim Clijsters et Justine Henin à Roland Garros en 2001 !
Mais, tout en m’occupant de La Libre Match, je restais très attaché à ce sport puisque je
n’ai jamais arrêté d’écrire pour Match, bien sûr, mais aussi pour Play Tennis, pour
Sport Magazine. J’ai aussi créé un blog, Amortie et Lob, qui existe encore et
toujours et est hébergé par Le Soir.
Fin 2002, je me suis rendu chez un éditeur, Luc Pire, pour lui proposer d’écrire une biographie
de Justine. Il était très intéressé mais sa première réaction était
l’étonnement. « N’est –ce pas un peu trop tôt ? » me demanda-t-il.
J’ai répondu qu’il était préférable d’écrire cette bio avant le premier grand
succès. Lequel, j’en étais persuadé, n’allait pas tarder. Bon, là, je reconnais
que j’ai eu pas mal de chances car si je ne doutais pas que Justine gagnerait
un jour un tournoi du Grand Chelem, je ne savais pas qu’elle aurait la
gentillesse de le faire juste quelques semaines après la sortie de la
bio ;-)
Dans cette bio autorisée, un chapitre sortait du lot, il s’agit bien évidemment de celui consacré
à sa maman. Un chapitre que Justine a enregistré sur un micro-enregistreur et
que j’ai, selon le jargon, déroulé sur papier.
« Quand je parle de ma mère, je ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer toute
l’admiration que j’ai eue pour elle quand elle était là et que j’ai encore pour
elle maintenant qu’elle est partie. Ce que j’admire principalement, c’est la
manière avec laquelle elle s’est battue contre sa maladie. Cette lutte
incessante a impressionné beaucoup de monde et moi en premier. J’ai beaucoup
d’admiration pour maman parce qu’elle était une grande dame. Elle était sévère
dans l’ensemble, elle avait des principes et des valeurs qu’il fallait suivre
mais elle était juste. Elle n’exagérait jamais. Tant comme maman que comme
professeur, elle accordait énormément d’importance à la justice.
Maman était enseignante en 4, 5 et 6ème secondaire à l’école des Sœurs de Rochefort
et je crois qu’elle était très respectée par ses élèves justement grâce à ce
sens du bien et du mal. Respectée mais crainte car les cours avec madame Henin,
ce n’était jamais très simple. Elle était sans doute la prof dont ils avaient
le plus peur et pour laquelle ils éprouvaient le plus de respect.
Ma maman aimait la vie, elle adorait rire. Les gens qui l’ont connue savent qu’elle ne vivait que
pour une chose : ses enfants. Elle voulait que l’on soit bien, toujours
bien. D’abord, elle prenait soin de nous, elle nous gâtait, nous donnait
énormément d’affection. Nous entretenions une relation très proche. Elle est
partie quand j’avais douze ans. Douze ans, c’est beaucoup et pas beaucoup à la
fois. J’ai énormément de souvenirs et de belles images dans la tête. Quand j’y
repense aujourd’hui, je me rends compte que l’on a eu des différends mais
j’étais très jeune, et ces différends ne pesaient pas bien lourds en
comparaison de notre complicité. Nous étions vraiment très proches. Elle était
extraordinaire.
Une des images que je n’oublierai jamais est celle qu’elle me laissait chaque fois que nous allions
ensemble à l’école. Comme mon école primaire et celle où elle enseignait
étaient très proches, nous y allions ensemble à pied. On descendait la rue et,
à un moment, on arrivait à un carrefour où elle devait traverser pour aller à
son établissement alors que moi, je devais aller à gauche vers un parking. A ce
moment, elle me disait toujours « bonne journée », me faisait un
petit bisou et s’en allait. Je me souviens que je me retournais toujours pour
la voir partir. Je ne sais pas pourquoi, mais cette image de ma mère s’en
allant travailler m’a toujours marquée. Elle avait une présence incroyable, une
classe que je ne parviens pas à décrire.
Quand j’avais congé, j’aimais aussi beaucoup aller dans sa classe. Ou alors, quand j’avais fini
avant elle, je passais devant sa classe et je l’observais. Avec ses petites
lunettes, par-dessus lesquelles elle regardait toujours ses élèves, elle avait
l’air très sévère, très dure. Mais j’aimais cette image également.
Elle était prof de français et d’histoire, c’était une véritable passionnée. En dehors de ses
heures, elle créait des pièces de théâtre avec ses élèves. J’allais souvent aux
répétitions. J’écoutais pendant des heures et, quand je rentrais à la maison,
je lui déballais tout ce que j’avais entendu, je mémorisais des pans entiers de
ses pièces et elle m’écoutait toujours avec beaucoup d’attention.
Je pense d’ailleurs que j’ai gardé son esprit littéraire. J’adore lire, écrire. J’aime la logique
des mathématiques, j’aime bien quand il y a une solution, mais j’ai aussi
conservé une part de son sens littéraire.
Maman était très intellectuelle mais pas trop sportive. Elle jouait un petit peu au tennis –
elle était même plutôt douée par rapport au nombre de fois qu’elle jouait –
mais elle était davantage intellectuelle.
Maman avait vécu pas mal de moments difficiles dans sa jeunesse. Elle a entre autres perdu sa maman très jeune aussi, d’un cancer également. Elle devait avoir quinze ans, je
pense. De plus, mes parents ont perdu une petite fille qui était l’aînée
d’entre nous, elle s’appelait Florence, je ne l’ai jamais connue puisqu’elle
est morte à deux ans et demi. Cela a été des moments difficiles. C’est aussi
pour cela qu’elle a toujours fait très attention à ses enfants.
Moi, ce que j’ai admiré, c’est sa capacité à tout gérer en même temps : travailler,
s’occuper du ménage, préparer ses leçons, à manger, faire ses lessives… Sa vie
était remplie mais elle ne s’en plaignait jamais, elle le faisait avec plaisir.
Quand elle s’y mettait, elle agissait très vite et quand elle disait quelque
chose, elle essayait de l’accomplir et cela lui réussissait.
J’ai beaucoup parlé de ses qualités. Quand je parle d’elle, je ne vois que des qualités mais, comme
tout le monde, elle avait ses petits défauts. Elle était ainsi très têtue et
voulait toujours avoir raison. Je crois que j’ai gardé un peu de son caractère.
Quand je parle d’elle, je me retrouve beaucoup, car je suis moi aussi assez
têtue, assez sérieuse. Je n’ai jamais cherché à l’imiter mais j’ai toujours
pris exemple sur cette grande dame, sur sa présence, sur ce que les gens en
pensaient. On ne peut pas faire l’unanimité mais ma maman était très appréciée,
ce qui était très important pour moi. Elle avait donc toujours envie d’avoir
raison mais elle avait parfois tort, même si j’ai du mal à le reconnaître
aujourd’hui. Mais quand elle avait décidé qu’elle n’avait pas tort, cela ne
servait à rien de discuter.
Maman ne m’a jamais poussé à jouer au tennis. Dès qu’elle a vu que j’aimais ce sport, elle ne m’a
pas retenue, elle ne m’a jamais dit non. Elle avait simplement la crainte de me
voir passer à côté de mon enfance, de ma jeunesse. Elle avait peur que je fasse
tout cela pour rien, qu’au bout du compte, ce soit difficile, que je ne puisse
pas en faire mon métier et que je ne sois plus capable d’entreprendre une autre
profession. Elle avait peur que la carrière tennistique ne s’ouvre jamais à moi
mais elle acceptait ce que je faisais.
Cela dit, si elle acceptait que je consacre beaucoup de temps au tennis, elle voulait à tout prix
–sans doute comme la plupart des parents enseignants – que ses enfants
réussissent à l’école. Sa priorité, c’était sans conteste les études. Ce qui
est logique car, quand on a 10 ou 11 ans, que l’on est nulle part au niveau
mondial, il faut attacher de l’importance à la réussite scolaire. C’est pour
cela que, plus tard, je lui ai fait la promesse de terminer mes humanités.
Mais je n’ai pas pu tenir ma promesse. M’en aurait-elle voulu ? Non, je ne pense pas parce que
ma vie a pris un autre sens à partir du moment où j’ai décidé de me lancer dans
la vie professionnelle et de prendre mes responsabilités. Jusqu’à présent, cela
a plutôt bien marché et j’arrive à faire une carrière pro. Je suis donc
certaine que maman est très fière de ce que j’accomplis depuis quelques années.
Quand maman me conduisait à l’entraînement, à Ciney, puis à Géronsart, à Jambes, près de
Namur, elle me déposait puis elle allait faire ses courses, revenait et s’asseyait dans le club-house. Elle ne venait jamais au bord du terrain, elle buvait son café et regardait mon entraînement,
sans rien dire. Puis, elle me reconduisait. Elle était très discrète, elle
venait voir sa petite fille exercer sa passion, un point c’est tout. Par
rapport au tennis, cette discrétion est l’image que je garde de ma mère.
Quand je rentrais de
l’entraînement avec mon père – elle savait toujours à quelle heure je devais
revenir -, que je remontais à l’appartement, j’entendais mon bain couler, elle
avait déjà préparé à manger et mon bain était prêt. Les meilleurs moments que
je pense avoir eus avec elle, c’est quand elle venait s’asseoir sur le bord de
la baignoire et qu’elle discutait avec moi de ce que j’avais fait, de ce
qu’elle avait fait pendant la journée. Même quand elle était super occupée,
elle prenait le temps de venir me parler. Ce moment était sacré, il fallait
qu’elle vienne près de moi. J’étais encore toute petite mais on parlait de pas
mal de sujets. Il s’agissait de moments magiques que je n’oublierai jamais.
Un autre très bon
moment que j’ai partagé quasi tous les jours avec elle se passait après le
souper. J’aimais beaucoup sauter à la corde et, tous les soirs, j’allais dans
la cuisine où personne ne pouvait venir, sauf maman. Là, elle commençait à
compter mes sauts. Je ne sais pas combien de temps cela pouvait durer car un de
mes records devait être 700 sauts et, chaque soir, je recommençais jusqu’à ce
que j’établisse un nouveau record. Et maman comptait, toujours. Elle était
patiente, ne râlait jamais. Elle me voyait tellement acharnée sur mon objectif
qu’elle restait là, à compter. Je raconte cela car il s’agit d’un exemple qui
montre la patience qu’elle avait avec ses enfants. Elle abandonnait ses activités
pour nous. J’espère que beaucoup d’enfants ont cette chance d’avoir une maman
ayant autant de patience.
Il y a eu tous ces
très bons moments et puis, un jour, tout s’effondre. C’est à ce moment que l’on
se dit qu’il n’y a aucune justice. Quand on voit le bien que maman avait fait
autour d’elle et apprendre un jour qu’elle est atteinte d’une maladie grave et
qu’elle en mourra… je trouve cela tellement injuste. Aujourd’hui encore, je
pose la question : pourquoi elle ? Evidemment, personne ne mérite cela
mais vivre de cette manière la perte de quelqu’un que l’on aime si fort, c’est
ce qu’il y a de pire sur terre.
Je n’oublierai jamais
le jour où mes parents ont appris qu’elle avait un cancer. Bien que, moi, je
n’aie entendu le mot cancer que deux mois avant la mort de maman car mes
parents étaient très discrets et essayaient de parler le moins possible de leur
maladie devant leurs enfants et en tous les cas devant leurs deux filles. Je me
souviens très bien. J’avais été faire des courses avec ma marraine et, quand je
suis revenue à la maison, ma maman était allongée sur le lit. J’ai tout de
suite compris qu’il s’était passé quelque chose, qu’ils avaient appris une
mauvaise nouvelle. Ils nous ont annoncé que maman allait devoir entrer à
l’hôpital pour subir une opération mais, quand on a douze ans, est-on conscient
de ce qui se passe ? Je savais que c’était très grave mais je ne me
rendais pas compte de la réelle gravité de la maladie.
Au mois d’avril 94, elle a été opérée. Sa maladie aura donc duré un an puisqu’elle est décédée le
26 mars 1995. Un an qui aura été très difficile, que je n’oublierai jamais. On
a tous été très marqués et nous avons tous souffert. Quand elle s’est faite
opérer, j’ai été la voir au CHU à Liège. Ce n’était pas facile car elle avait
beaucoup souffert. Il s’agissait d’une opération pénible mais, exactement, je
ne savais pas ce qu’on lui avait fait. Nous savions que maman était gravement
malade mais, pour Sarah et moi, cela s’arrêtait là.
Quelques mois plus
tard, maman allait mieux. J’ai alors pensé que tout était redevenu normal. Elle
est même venue à Gruissant, en France, au mois d’août, pour me voir jouer un
tournoi. Il y avait mes tantes, mes oncles, mes cousins et cousines. Nous
passions des vacances familiales. Après cela, tout s’est dégradé. Il y avait
cette fameuse chimio qui lui pesait, qui était très lourde mais je n’avais que
douze ans et je ne me rendais pas compte des conséquences. Je me disais que les
maladies, cela se soigne, qu’il y a des docteurs et qu’on peut toujours s’en
sortir. Je n’avais pas de prise de conscience mais, au fond de moi, je pense
que je savais qu’il allait se passer quelque chose de grave.
Un jour, quand je
prenais mon bain et qu’elle était assise à côté de moi, je lui ai
demandé : « mais maman, ta maladie, tu ne vas quand même pas en
mourir ». Elle m’a répondu : « Mais non, ma puce. De quoi
parles-tu, je vais très bien. »
Cela s’est vraiment
dégradé vers la fin de l’année 1994, son état empirait, elle tombait, elle
oubliait les choses, c’était difficile de la voir. On savait qu’elle se battait
mais elle refusait de montrer ses souffrances, surtout à ses enfants. Il
n’était pas question de montrer qu’elle avait mal, qu’elle souffrait. Elle
avait un courage incroyable. Comment peut-on être si courageuse quand on sait
que l’on va mourir ? Elle le savait parce que les médecins lui avaient
dit que la maladie était trop avancée. A ce moment là, comment a-t-elle pu
se battre autant ? Penser encore à ses enfants ? Refuser la
souffrance ? Ne pas perdre la face devant nous ? J’ai beaucoup de mal
à comprendre comment elle a tenu le coup.
Pour moi, voir son
état se dégrader a été très pénible. Elle avait beaucoup d’énergie, elle
faisait toujours plein de choses mais à la fin, cela devenait de plus en plus
difficile de tenir.
En janvier, deux mois
avant sa mort, elle a fait un exploit et est venue avec ma marraine au tournoi
des Petits As à Tarbes. Elle a fait 1200 km aller et retour pour me voir jouer.
Elle a suivi ma demi-finale contre Goubachi,
un match à l’arraché. Elle était là, elle avait fait tous ces kilomètres
pour me voir jouer une dernière fois. C’était la plus grande marque d’amour que
ma maman pouvait me donner deux mois avant sa mort.
C’était un moment
très important pour moi. Elle avait pourtant perdu tous ses cheveux, son état
n’était pas bon. Mais je ne me rendais pas compte que le pire devait encore
arriver.
Juste après Tarbes,
dans le courant de janvier ou février, j’ai pour la première fois entendu le
mot cancer prononcé par quelqu’un de mon entourage. Est alors arrivé le mois de
mars. Ce n’est que la veille de sa mort que j’ai su qu’elle allait nous
quitter. C’était un samedi, je n’oublierai jamais, c’était un samedi, mon père
a pris ses enfants – on habitait alors chez mes grands-parents car on ne
pouvait pas rester à l’appartement – mon père nous a pris à part et nous a dit,
je n’oublierai jamais : « votre maman va rejoindre Florence au
ciel ».
Cela a été la pire
parole que j’ai entendue. Tout un rêve s’effondrait. Quand on a douze ans et
que l’on sait que la personne pour laquelle on a le plus d’admiration va
partir, c’est vraiment ce qu’il y a de pire.
Je suis montée la
voir une dernière fois dans sa chambre et elle a réussi à me dire :
« je t’aime ma puce ».
Elle était pourtant
très mal, elle ne nous reconnaissait quasiment plus.
Le lendemain, elle
nous quittait.
A la limite, autant
pour elle que pour ses proches, c’était peut-être mieux. Elle méritait un bon et très long repos.
J’espère qu’elle repose en paix car toute sa vie, elle l’a consacrée aux
autres.
Les moments qui ont
suivi ont été très durs. Beaucoup de souvenirs me reviennent. J’ai essayé
d’être très courageuse les jours qui ont suivi sa mort. Beaucoup de monde est
venu à l’enterrement, preuve qu’elle était très appréciée.
Quand j’étais petite,
je me disais toujours que si je perdais ma maman, ma vie s’arrêterait, que la
terre s’arrêterait de tourner. Quand elle est morte, j’ai d’ailleurs peut-être
cru que le tennis était terminé pour moi car je ne voyais plus de raisons de me
battre. J’estimais que la vie avait été trop injuste avec moi. Je ne prenais
plus de plaisir sur un court. Puis, petit à petit, quelques mois après, la vie
a repris.
Ma maman, je ne l’ai
jamais oubliée, elle est toujours présente avec moi. Dans les moments
difficiles, j’y pense beaucoup. Elle m’a donné tant d’amour, de signes positifs
que, quand je suis en situation compliquée, je repense aux bons et aux mauvais
moments, à sa maladie, à la manière dont elle nous a quittés. Elle a
aujourd’hui une importance primordiale car tout ce qu’elle a accompli me donne
plus de raisons de me battre.
On dit souvent que
quand on a vécu un tel drame on relativise plus facilement les problèmes de la
vie mais je ne partage pas cet avis. La vie, la société, font que l’on continue
toujours à s’énerver pour des détails, à ne pas se contrôler.
Je ne sais pas si j’ai changé depuis son décès mais ce qui n’a pas
changé, c’est l’amour que je lui porte, elle est encore vivante en moi, j’y
pense tous les jours, à la grande dame, à sa discrétion et au fait que ses
enfants étaient ce qu’il y a de plus important. Quand elle est partie, sa
crainte était d’ailleurs de savoir ce que deviendraient ses enfants sans elle.
Elle se demandait souvent comment nous continuerions à vivre.
Ce fut très difficile
mais j’ai pu trouver mon bonheur par la suite. Il y a beaucoup de gens qui
traversent des périodes très dures, mais ce n’est pas cela qui doit les
empêcher de trouver leur bonheur avec la personne qu’ils aiment. On peut à
nouveau rire ou sourire, on doit continuer à vivre et, depuis quelques années,
j’ai trouvé mon bonheur. Mais ce bonheur ne m’empêche de penser à ma maman,
avec joie ou tristesse.
Parfois je pleure en
y pensant parce qu’une maman restera toujours une maman et que l’on en a
qu’une. Elle restera dans ma vie jusqu’au bout. J’ai souvent entendu :
« pauvre petite Justine, elle a vécu des choses très dures… » Oui,
c’est évident, mais cela m’a forgé un caractère, on ne peut pas aller contre
cela. Cela m’a endurcie mais aussi fragilisée. Je suis plus sensible car je me
dis que la vie a été injuste. Je sais que c’est un peu paradoxal.
Oui, j’y pense tous
les jours. J’aurais tellement voulu partager beaucoup plus de choses avec elle
mais je sais aussi que les choses que l’on a partagées, on l’a fait avec tant
d’intensité que je ne peux pas avoir de regrets.
Elle me manque, je ne
peux pas expliquer à quel point. Lors de mon mariage, j’y ai beaucoup pensé,
j’aurais souhaité sa présence. Parfois, je rêve, je me perds dans mes pensées
et je la vois arriver chez moi, je la vois sonner à ma porte. Encore
aujourd’hui, je rêve de cela.
Quoi qu’il en soit,
j’espère, et je suis sûre, qu’elle est très fière de moi. Pas pour la joueuse
que je suis, mais pour la femme que je suis devenue, pour les principes
auxquels j’essaie de m’attacher. J’espère qu’elle est fière de moi pour tout
cela. Je suis certaine qu’elle est également très fière de mes résultats et de
me voir me battre sur un court.
Elle est partie mais
au fond, elle est là dans mon cœur et un jour on se retrouvera, on partagera
ensemble tout ce que l’on n’a pas pu partager jusqu’à présent. »
Chapitre fort s’il en
est. Je peux d’ailleurs ajouter que, tout au long de sa carrière, Justine a
dédié ses titres à sa maman.
Et des titres, il y
en a eu beaucoup, dont sept en Grand Chelem et quatre à Roland Garros.
Après son quatrième
succès à Paris, j’ai d’ailleurs publié une autre biographie, intitulée, « Justine,
la Reine de Roland Garros ». Une bio non autorisée mais que j’avais fait
relire à la joueuse, qui l’a validée.
Bref, vous
l’aurez compris, même en n’étant plus sur le terrain, j’ai toujours suivi la
plus grande championne belge de tous les temps avec beaucoup de sentiments partagés.
Quand elle a
arrêté sa carrière pour la première fois, je n’ai pas cessé d’être interloqué
par les choix bizarres qui étaient les siens au cours de sa vie
« civile » mais je ne voyais pas en quoi cela me regardait. Par
contre, son retour à la compétition et, surtout, son deuxième départ à la
retraite m’a inspiré ce post, publié sur lesoir.be, le 26 janvier 2011.
« Justine
Henin ou la poursuite d’une chimère
J’essaye
de comprendre. Depuis que j’ai appris la nouvelle cet après-midi, je me pose des
questions. Oh, bien sûr, il est évident que la blessure de Justine est réelle.
Que son corps souffre. Que sa chute à Wimbledon a eu des conséquences bien plus
importantes qu’il n’y paraissait.
Je ne suis pas
de ceux qui aiment à croire que cette blessure est un prétexte. Je ne suis pas
de ceux qui mettent en doute la bonne foi de Justine, ni celle de ses médecins.
Je ne suis pas de ceux qui n’ont de cesse de mettre en avant les défauts de
Henin plutôt que de regarder les faiblesses de la merveilleuse championne
qu’elle est.
Oui, bien
entendu, que la blessure de Justine est réelle. Mais elle n’est pas isolée. Il
n’y a pas que le coude qui souffre. Il y a la tête.
Depuis son
retour, début 2010, j’ai plusieurs fois souligné dans ce blog que Justine
n’était plus la dominatrice qu’elle avait été lors de sa première carrière. Dès
la fin de l’Australian Open de l’an dernier, j’ai écrit que ces deux finales
perdues (face à Kim Clijsters à Brisbane et face à Serena Williams à Melbourne)
ne correspondaient pas à l’ex-numéro 1 mondiale. Qui, d’habitude, remportait
plus de 80 % des matches de longue haleine. Mais Justine n’était plus aussi
dominante qu’avant 2008.
Et je refusais
de croire que c’était parce qu’elle avait arrêté. Quand on peut aller au
tie-break du troisième set de la finale de son premier tournoi, que l’on peut y
obtenir deux balles de match face à Clijsters, qui venait de gagner l’US
Open ; quand on peut aller en finale du premier Grand Chelem de son
retour, c’est que le tennis est là. Que le physique est là. Mais, quand, au
terme de ces matchs longs et difficiles, on finit par perdre ce que l’on gagnait
avant, c’est que la confiance en soi n’y est plus. C’est qu’il y a quelque
chose de cassé.
Et la suite de
la saison a suivi la même courbe. Négative. Défaite en demi à Miami, face à
Clijsters, toujours, mais en trois sets hyper-serrés.
Et, ensuite, il
y a eu cette Fed Cup insensée, avec ce petit doigt qui se casse. Pour rien, sur
un mauvais mouvement. Une première faiblesse du corps. Qui n’a
l’air de rien. Mais qui pèse sur le moral. Sur la concentration.
On se disait que
la saison sur terre – SA TERRE – allait remettre Justine sur les rails. Elle
gagnera certes Stuttgart mais, une semaine plus tard, elle perdra au premier
tour de Madrid avant de venir dans son antre : le FRENCH.
Elle y battra
Pironkova, Zakopalova, Sharapova avant de s’incliner face à Samantha Stosur.
Contre qui elle a pourtant mené un set zéro. L’histoire 2010 est lancinante.
Justine joue bien. Mais ne gagne pas les gros matches.
Elle enchaînera
avec une victoire à ‘s-Hertogenbosch. Ce qui donnait l’espoir pour Wimbledon.
A Londres,
elle passera trois tours. Facilement. Avant de rencontrer … Kim Clijsters. Face
à laquelle elle prendra le premier set (encore !). Mais elle tombera. Une
chute semblant anodine. Bénigne.
Mais oh combien
traumatisante. Définitive, même. Puisque Justine a bel et bien annoncé cet
après-midi l’arrêt de sa carrière…
Je ne suis pas
de ceux qui disent, méchamment, que la blessure de Justine n’est pas réelle.
Mais je suis persuadé que sa saison 2010 a été marquée par l’absence totale de
confiance en elle. Ce qui a évidemment eu des répercussions sur son jeu, ses
victoires, mais aussi, sur son corps. Je sais que certains vont me trouver
excessif. Mais, quand on est en confiance, on se blesse moins souvent. On est
plus assuré sur ses appuis. On est sûr de soi et on prend des risques en
sachant que le corps va suivre, va tenir.
Quand on a un
peu peur, on se retient, on stresse, on bande un peu trop ses muscles. Et on
finit par meurtrir ses articulations. Bref, le corps lâche, comme le mental.
D’autant – on ne
le dit jamais assez – qu’une athlète de ce niveau est fragilisée. Diantre, on
ne frappe pas autant de balles, on ne change pas aussi souvent de continent,
sans le payer. Cher. Très cher.
Et donc, tout
tient dans cette confiance perdue de Justine Henin.
Mais voilà, la
question que je me pose depuis cet après-midi, c’est : pourquoi ?
Pourquoi être revenue sans avoir une entière confiance en elle ? En fait,
je mens un peu. Depuis son retour, je me pose cette question. Et, depuis son
retour, je me dis que Justine n’est pas revenue pour les bonnes raisons.
Mais qui
suis-je, pour l’écrire ? Certes, je la connais depuis qu’elle a six ans.
Certes, j’ai beaucoup parlé avec elle. Certes encore, j’ai écrit deux
biographies, dont une en pleine collaboration avec Justine. Mais qui
suis-je, moi, pour affirmer qu’elle n’est pas revenue pour les bonnes
raisons ?
Et, parce que je
doutais, j’ai relu l’entretien que j’ai réalisé avec Carlos Rodriguez quelques
semaines avant le retour 2010 de Justine. Je vous la livre ci-dessous ces
quelques questions :
« Justine a
pris part à pas mal de shows télé, elle a voulu faire du théâtre et a même fait
un défilé de mode. Dans ces colonnes, nous avions écrit qu’il lui manquait,
dans sa vie nouvelle, un guide comme vous l’aviez été en tennis. On se
trompait?
Je ne pense pas.
Elle n’avait pas besoin de quelqu’un comme moi, mais elle avait peut-être
besoin d’un guide, c’est vrai. Mais vous savez, pendant quatorze ans, elle m’a
eu à ses côtés et, là, elle voulait qu’on lui foute la paix. Si vous m’aviez
posé la question il y a quelques mois, je vous aurais répondu qu’il fallait
qu’elle décide seule, qu’elle n’avait pas besoin de quelqu’un. Avec le recul,
je pense que cela aurait été mieux si elle avait été guidée.
Vous avez eu
peur, pour elle?
Oui. Mais,
j’étais la personne la plus mal placée pour le lui dire car je restais son
coach de tennis! Et là, le coach que j’étais pensait que la meilleure manière
de voir Justine s’épanouir était de la laisser seule, de la laisser se forger
ses propres armes pour sa nouvelle vie. Si j’étais resté à ses côtés, je ne
l’aurais pas aidée, mais desservie. Qui plus est, du fait de mon enfance, je
n’ai jamais supporté m’imposer quelque part. Je ne veux pas déranger. C’est
pour cela que je passe parfois pour quelqu’un de froid, de distant mais c’est
parce que j’ai une peur bleue de déranger. J’étais donc content qu’elle
respire, que je respire.
Qu’est ce
Justine cherchait sur les plateaux télés, au théâtre, … ?
J’ai tellement
de respect pour elle que je ne lui ai jamais posé la question. Je ne voulais
pas entrer dans son intimité. Je ne peux donc pas vous répondre. Si
j’étais toujours à ses côtés, c’est parce qu’elle me le demandait.
Cela vous
plaisait?
Elle était
contente que je sois là. Cela me rendait heureux qu’elle soit heureuse et
rassurée. Le reste…
Ne peut-on pas
dire que ce retour aux affaires est un échec pour la femme qu’est Justine
Henin?
Je formulerais
les choses autrement. Elle a prouvé aujourd’hui qu’elle pouvait faire autre
chose que jouer au tennis. Mais, en goûtant à autre chose, elle a aussi compris
qu’elle n’en avait pas fini avec le tennis, qu’elle avait encore des choses à
réaliser tennistiquement. Professionnellement, je ne me fais aucun souci, mais
quand elle aura tout donné pour le tennis, elle sera prête à transférer son
énergie ailleurs. Il lui restera alors un challenge personnel à relever
et elle devra se poser cette question: “que puis-je faire en tant que femme?”
Vous voulez dire
qu’elle n’a pas encore trouvé d’équilibre de femme parce qu’elle savait qu’elle
avait encore des choses à faire en tennis?
Exactement.
Elle fermait
donc des portes?
Inconsciemment, oui peut-être. Il faut qu’elle termine ce qu’elle a à faire en tennis pour être prête à vivre sa vie de femme.
TOUT est là. Tout.
Et confirme ce que je pense depuis longtemps et que je vous livre ici, sans
retenue.
Justine, oui,
est revenue pour de mauvaises raisons. Car je pense sincèrement que Carlos a
raison en disant qu’elle ne s’est pas épanouie pendant sa première retraite.
Mais je ne suis pas certain que c’est parce qu’elle n’avait pas fini sa
carrière tennistique.
Non, je pense
que Justine est une femme extraordinaire. Mais aussi extraordinairement
complexe. Qui, depuis qu’elle a six ans, n’a qu’un seul objectif : être la
meilleure. Ce qui n’est pas handicapant. Ni gênant. Mais qui, une fois
l’objectif atteint, peut devenir terriblement coûteux en termes humains.
Sans oublier
que, tout en atteignant son but, Justine a traversé des épreuves très dures.
Oh, je
sais, elle n’est pas la seule à avoir perdu sa maman. Elle n’est pas la seule à
s’être disputée avec son papa et ses frères. Elle n’est pas la seule à avoir
divorcé. Mais, sans doute, est-elle une des rares à avoir, aussi vite, accumulé
autant de désillusions. Tout en, je le répète, poursuivant un but inouï :
être la meilleure dans l’un des sports les plus pros qui soit.
Alors, en 2008,
quand elle s’est rendue compte qu’elle ne ferait plus jamais rien d’aussi bien
qu’en 2007, elle s’est sentie perdue. Elle a essayé d’encore gagner, mais les
victoires ne suivaient pas aussi facilement. Elle a donc décidé d’arrêter. A
quoi bon continuer quand on ne peut plus faire mieux ?
Et puis, elle
pensait que l’adrénaline pourrait venir d’autres choses que des victoires. Elle
a tout essayé, Justine : la mode, le théâtre, « plus belle la
vie », les douze travaux à la télé. Personne n’était là pour lui dire que,
si elle n’était pas mauvaise, elle n’était pas non plus extraordinaire. Comme
je le disais à Carlos, elle n’a pas eu de coach de vie. Mais qui en a tout
au long de la sienne ?
Et, donc, oui,
elle a pris un peu son pied. Elle a eu un peu de tension, de fébrilité. Mais
elle n’a jamais connu l’extase générée par une victoire en Grand Chelem.
Jamais.
Et, une fois
qu’elle a tout tenté, elle s’est retrouvée chez elle. Seule.
Oui, seule. Car
elle n’a plus sa maman. Et ses retrouvailles avec sa fratrie ne sont pas aussi
sereines qu’on a bien voulu le faire croire au soir de sa victoire à paris en
2007. Donc, oui, elle s’est retrouvée seule. Avec quelques amis. Quelques
proches. Avec son chien.
Oui, c’est vrai,
et avec des millions de dollars.
Mais, une fois
encore, je ne suis pas de ceux qui pensent que les millions peuvent rendre
heureux. Et peuvent faire vivre. Certes, c’est évidemment plus facile de
supporter le malheur avec de l’argent. Enfin, peut-être. Je ne suis pas psy.
Ce que je
sais, c’est que Justine n’était pas heureuse dans sa première retraite.
Et, donc, elle
est revenue.
Non pas à
cause de Kim Clijsters, comme je l’ai lu si souvent.
Non, elle est
revenue pour elle. Pour vivre. Pour se sentir vivre.
« Mais je
vais mieux apprécier le jeu, le tennis. Je vais m’amuser… » Disait-elle.
Elle n’y est pas parvenue.
Bien au
contraire, même. Puisque, perfectionniste comme elle l’est, ambitieuse comme
elle l’est, volontariste comme elle l’est, elle avait oublié qu’il n’y a qu’une
seule chose qui importe à une championne : la victoire !
Mais cette
victoire ne venait plus. Tout simplement parce que, pendant sa première
carrière, Justine visait le but de son enfance : être la meilleure.
Dans sa deuxième
carrière : elle a poursuivi une chimère : être heureuse grâce au
tennis.
Mais on ne peut
pas être heureuse grâce à un sport. On peut se sublimer. On peut se surpasser.
On peut amasser des souvenirs. Mais le bonheur ne passe pas exclusivement par
le sport.
Certes, ce sport
donne de l’adrénaline. Cette adrénaline qui fait penser que l’on est heureux.
Comme les joueurs, les joueurs d’argent, qui pensent être heureux parce qu’ils
jouent. Comme les drogués, qui pensent être heureux parce qu’ils se droguent.
Mais ils ne sont pas heureux. Ils font semblant. Ou croient l’être.
Et Justine est
une joueuse. De tennis ! Et elle n’est pas heureuse. Enfin, je veux dire,
qu’elle n’est pas heureuse grâce au tennis. Car le jeu n’apporte pas le bonheur
puisqu’il est forcément éphémère. Une carrière sportive est éphémère. Et il est
illusoire de croire que, seule, cette carrière peut mener au bonheur, à la
plénitude.
Justine ne l’a
pas encore compris.
Mais aujourd’hui,
son corps va l’obliger à le comprendre.
Ce sera le
premier pas vers sa deuxième vie. Sa vraie deuxième vie. Celle qui, je lui
souhaite ardemment, la mènera, cette fois, vers ce à quoi nous aspirons
tous : l’équilibre.
Mais qui donc
l’atteint réellement ?
Bonne merde,
Justine. Et merci. Mais ne comptez pas sur moi pour vous dresser son palmarès.
Il est inscrit dans l’histoire du sport belge. »
Aujourd’hui,
Justine et moi nous croisons deux ou trois fois par an. L’une des dernières
fois, elle avait organisé, comme elle le fait de temps en temps, une journée
tennistique avec quelques journalistes spécialisés.
Comme chaque,
fois, elle prend un malin plaisir à terminer son « clinic » avec moi
et, à chaque fois, elle commence nos échanges avec cette phrase : « je me rappelle très bien que tu
menais 3-2 quand on a joué à Rochefort. »
Elle me le fait
alors payer, en souriant.
Et c’est
toujours rouge pivoine que je sors du terrain.
Aujourd’hui, je
peux affirmer que Justine Henin est une jeune femme et une jeune maman
heureuse. Elle a compris et assumé le fait que si le tennis demeurera à jamais
un pan capital de sa vie, cette dernière peut aussi être épanouissante sans la
petite balle jaune.
Il n’est plus
question de chimère. Mais bien d’objectifs clairs et précis qui font de Henin
une femme d’affaire, une maman épanouie.
Il s’agit sans aucun doute de sa plus belle victoire.