Suite de notre promenade dans l’histoire de la Coupe Davis, version belge.
En 2015, pour la deuxième fois de son histoire et la première depuis 1904, l’équipe belge a atteint la finale mondiale qu’il ne faut pas confondre avec les finales européennes (voir annes Washer-Brichant).
Ci-dessous, un article que j’ai écrit au lendemain de cette finale perdue logiquement. Il s’agissait pour moi d’un rêve puisque j’avais la chance d’être responsable de presse et que cette finale se tenait dans la ville de feu mon papa: Gand.
La photo est celle de Steve Darcis et Johan Van Herck quand le Shark est monté pour le dernier match face à l’Argentine.
I Have a dream.
I have a dream qu’un jour une équipe belge dispute la finale de la Coupe Davis.
Ce rêve, je le caresse depuis tout petit quand mon papa gantois m’a raconté qu’à la veille de son mariage, il avait assisté à la finale européenne opposant la Belgique à l’Italie.
Ce rêve, je le désire depuis que le tennis est devenu une passion, une part importante de ma vie. Depuis que j’ai pu suivre des matches à la télévision avec les plus grands des joueurs de mon époque, comme John McEnroe, Jimmy Connors, Arthur Ashe, Bjorn Borg, Stefan Edberg, Andre Agassi, Pete Sampras, Yannick Noah et tous les autres qui ont bercé mon adolescence et ma vie de jeune adulte.
Ce rêve, je désire le vivre depuis que je suis journaliste. Depuis mon premier voyage m’ayant mené à Perth, en Australie, dans l’un des pays historiques de cette compétition. Depuis que les Malisse et consorts ont réussi l’exploit de battre la Suisse du jeune Federer en 1999. Et qu’ils ont atteint une demi-finale exceptionnelle qui s’est déroulée à Pau, toujours en 1999.
Dans ce rêve, déjà, certains me disaient que jamais plus nous n’irions plus haut. Que jamais plus nous ne vivrions de telles expériences. Que jamais plus, une équipe belge ne parviendrait à se frayer un chemin vers le dernier carré de cette compétition mythique et prestigieuse.
I have a dream qu’un jour, pourquoi pas ?, une bande de fous furieux, joueurs et staff, ne les démente.
I have a dream que le sort soit pour une fois favorable et qu’il trace une route, si pas aisée, loin de là, du moins jouable et franchissable.
I have a dream que devant ce balisage allégé, nos quatre mousquetaires ne vacillent pas, qu’ils profitent de la porte ouverte par la Vieille Dame. Qu’ils n’écoutent pas les aigris estimant qu’ils avaient de la chance. Qu’ils aillent au contraire de l’avant, persuadés qu’ils pouvaient écrire l’une des plus belles pages de l’histoire du sport.
Ce rêve, pour je ne sais quelle raison, a vu notre équipe rejouer la Suisse. Oui, celle de 1999, mais pas avec les mêmes joueurs. Un certain Roger Federer aurait pu en être mais, battu par deux fois en 99 par Van Garsse et Malisse, il n’est pas venu à Liège (mais pas pour cette raison). Pas plus que son collègue Wawrinka.
Dans ce rêve, les choses ne se sont pas passées aisément. Mais, à deux deux, un David Goffin diminué a pris ses responsabilités et s’est défait en trois sets d’Adrien Bossel. Les Belges étaient en quarts de finale.
Quelques minutes plus tard – le temps est bizarre dans les songes et les souvenirs – l’équipe belge se débarrassait sans souci d’une équipe canadienne déforcée. La Belgique était en demi-finale, pour la première fois depuis 1999. Elle aurait pu s’en contenter.
Mais, dans les rêves, on peut voir plus grand, plus fort, plus haut. On peut se transformer en héros d’une nation et plus rien n’est impossible.
I have a dream que cette demi-finale se joue dans une salle mythique où s’était déjà joué des tournois extraordinaire. Et c’est à Forest National que les Belges ont rencontré les Argentins. Dans cette salle où j’avais eu la chance de voir John McEnroe donner une leçon à Ivan Lendl.
I have a dream que le premier joueur belge, David Goffin, montre à tous ceux qui ne se rendaient pas compte de son niveau exceptionnel qu’il était bien le leader incontesté de l’équipe et que ce ne sont pas deux Argentins classés au-delà de la 50ème place qui allaient le perturber. Dans ce rêve, Goffin, en patron, a gagné ses deux matches en trois sets secs.
Dans ce rêve, aussi, les Belges étaient menés 1-2 pour la 13ème fois de leur histoire mais ils allaient remonter et vivre un cinquième match impossible.
Mais il n’y a évidemment que les rêves qui peuvent proposer un thriller aussi intense que celui que mon cerveau m’a fait vivre. Steve Darcis, harassé et fourbu, a sorti le match de sa vie et, après un smash joué avec les tripes, il s’est fait submergé par le bonheur et ses collègues. Le gladiateur était bien ce qu’il avait toujours été, un Daviscupman.
On était en finale.
Mais ce n’était qu’un rêve.
Un rêve qui m’a transporté à Gand, la ville de mon papa. Ces rêves qui font toujours des raccourcis et refont vivre des êtres chers…
Dans ce rêve, un capitaine et quatre joueurs ont continué à y croire. Ils savaient évidemment que les Britanniques étaient les favoris, surtout en raison d’un Andy Murray numéro deux mondial. Mais ils n’en avaient cure et voulaient poursuivre la route. Pendant deux mois, ils n’ont pensé qu’à cela. Ils n’avaient d’yeux que pour ce trophée.
Ils savaient que l’obstacle était élevé, mais ils voulaient le franchir, le contourner.
Alors, ils ont mis tout en place. Pour que cela fonctionne.
Dieu sait pourtant que les conditions n’étaient pas complètement réunies. Le gladiateur était blessé. Le meilleur Belge venait de prendre une sacrée défaite face à Andy Murray à Paris.
Heureusement, en rêve, on peut effacer tout cela. On peut jouer avec un blessé. On peut rivaliser avec plus fort.
On peut, aussi, revenir de deux sets zéro face à un gamin inconscient. C’est ce qu’a fait David Goffin dans ce songe tennistique.
De 0-2 à 3-2 dans une finale de Coupe Davis, n’importe quoi !
Dans ce rêve, toujours, Ruben Bemelmans, pourtant pas terrien du tout, a énervé Andy Murray, qui a écopé de deux avertissements.
Et, toujours in the dreamland, le meilleur Belge de tous les temps modernes, a disputé le double.
Avec son pote Steve Darcis. Et ils ont fait vaciller les frères Murray.
I have a dream qu’à 1-2, Goffin prenne la mesure de Murray.
Il a joué le feu. Mais ce rêve était aussi réaliste et le service de David n’y était pas bien meilleur que dans la vraie vie. Par contre, dans le jeu, sur la ligne de fond, il a fait quasi jeu égal. Quasi, car Murray était un monstre. Là aussi, comme dans la vraie vie.
Dans mon rêve, Goffin a été battu en trois sets et n’a pu retenir ses larmes à la fin d’une rencontre qui avait pourtant soulevé 13.000 fans en folie.
Ces larmes, dans ce rêve, n’étaient pas des larmes que de tristesse et de déception.
Non, ils s’agissaient de larmes de fierté, de décompression, de bonheur et de frustration. De satisfaction du devoir diantrement bien accompli. Des larmes qui coulaient le long de ses joues, nourrissant ses souvenirs récents, ses espoirs à venir. Des larmes salées qui, j’en suis certain, dans ce rêve du moins, apparaissaient comme étant des remerciements à tout son staff, à ses coéquipiers, à son capitaine.
Dans mon rêve, à 1-3, ce capitaine, ce solide Johan Van Herck, réunissait tout son groupe à même le terrain, pendant que les Britanniques fêtaient la victoire. Et il leur disait qu’il était fier d’eux. Qu’’ils avaient tout donné et que, quand on a tout donné, on ne peut pas avoir de regrets.
I have a dream que le nom de quatre joueurs belges et d’un capitaine belge soient inscrits sur le Saladier d’Argent qui est en fait un plat à Punch.
I have a dream que les noms : David Goffin Steve Darcis, Ruben Bemelmans, Kimmer Coppejans, Johan Van Herck (captain) soient gravés aux côtés des plus grands noms et trois socles plus bas que les deux seuls autres noms de joueurs belges : William Le Maire de Warzée, Paul de Borman.
I have a dream.
Et je me suis réveillé.
Et je me suis dit que ce serait vraiment génial si tout cela pouvait être réel.
Que ce serait exceptionnel qu’un groupe oublie les tristes sires et soit convaincu que les rêves, en fait, peuvent devenir réalité.
Qu’il y a toujours moyen.
Que rien n’est impossible en sport.
Que la Vieille Dame peut vous ouvrir des portes.
Que la vie est faite de rêves.
Que, sans rêve, à quoi servirait-il de vivre ?
I have a dream.
Pour suivre: l’extraordinaire épopée de 2017 avec, aussi, une énorme déception en finale.