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Le départ de Rafa, le retour de David, le tennis éternel

Triste? Non, je ne suis pas triste.

Les gens sont bizarres. Sympas, mais bizarres.

Hier, un jeune collègue m’appelle juste après l’annonce.

« Ca va Pat, pas trop triste? »

Une autre collègue: « c’est triste, tout de même, non?« 

Le matin de ce même jeudi, un troisième collègue m’exprime quant à lui son enthousiasme suite à la qualification de David Goffin pour les quarts de finale de l’ATP 1000 de Shanghai. Un enthousiasme que je tempère quelque peu tant il me semble important de toujours prendre du recul. Que ce soit dans la tempête des défaites où dans l’euphorie des victoires.

Triste? Non, je ne suis pas triste parce que Rafaël Nadal a annoncé sa retraite.

D’une part, ce n’est pas une surprise. Je suis même plutôt heureux de ne plus le voir à la peine face à des joueurs « moyens » .

D’autre part, pourquoi serais-je triste puisque j’ai pu vivre pleinement l’une des époques les plus folles du tennis moderne, qui a mis en scène les trois monstres sacrés que sont Roger Federer, Novak Djokovic et, donc, Rafaël Nadal. Ces trois-là, dont il ne restera que le Serbe en 2025 (normalement), nous ont offert tant de matches historiques, tant de duels homériques, tant de moments suspendus, que ce serait de la folie de ne pas préférer les souvenirs à une tristesse inutile puisque l’on savait tous qu’à un moment la page écrite par ce triumvirat d’empereurs tennistiques se tournerait.

Je suis pas triste non plus car l’âge qui est le mien m’a permis de vivre d’autres magnifiques époques, d’autres rivalités exceptionnelles. Celle entre Jimmy Connors et John McEnroe, puis celle entre ce dernier et l’extraordinaire Bjorn Borg. Celles, ensuite, et j’en passe, entre Ivan Lendl et John McEnroe, encore, Boris Becker ou Mats Wilander. Comment ne pas citer, aussi, Boris Becker et Stefan Edberg ou, celle, flamboyante et oh combien médiatique, entre les frères ennemis américains Andre Agassi et Pete Sampras.

Tout au long de 5 décennies, ces joueurs, tous légendaires à mes yeux (et je pourrais en ajouter tant et ajouter aussi les joueuses mais ce sera pour une autre fois), m’ont offert, comme Rafa, Roger et Novak (oui oui!) des émotions physiques et mentales.

Des orgasmes tennistiques et sportifs, je n’ai pas peur de l’écrire.

Certains me diront comme souvent « oui, mais, Rodger, Rafa, Djoko, c’est quand même autre chose, non? »

Oui.

Non, en fait.

Vous le savez, je n’entrerai jamais dans le débat stérile qui essaye de savoir qui est le plus grand de tous les temps.

Les plus jeunes qui me lisent n’ont peut-être pas vu beaucoup de matches entre Connors et Borg ou entre le Suédois et Big Mac.

Moi, par exemple, je ne me souviens pas très bien de John Newcombe, de Rod Laver, de Stan Smith. Sans parler de ceux qui jouaient dans les années 50 et, encore moins, de ceux, comme Fred Perry ou les mousquetaires, qui défrayaient la chronique avant la guerre.

Mais je ne suis pas assez fou pour ne pas savoir que les 15 dernières années ont été exceptionnelles tant par la qualité et la variété du tennis, que par les personnalités oh combien différentes et attachantes (oui oui, même pour Novak ;-) du Suisse, du Serbe et de l’Espagnol.

J’ai aussi la chance, vu que mon âge n’est pas encore non plus si avancé ;-) de pouvoir vivre la rivalité naissante et qui devrait être passionnante entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner. Et je ne sais pas de quoi l’avenir proche ou moyennement lointain, sera fait.

Ce dont je suis par contre certain, c’est que le tennis, depuis que le sphairistike ou le jeu de paume lui a passé la main, restera éternel.

Que tant que l’on pourra jouer des matches en 5 sets, que tant qu’il y aura des Grand Chelem, ce sport majeur, aussi cruel que merveilleux, génèrera des champions hors norme comme le sont – ou l’ont été… – les membres du Big 3.

Eternel, le tennis.

Comme le talent qui, pour se cacher parfois, pour jouer la fille de l’air trop souvent, ne quitte jamais vraiment un joueur.

David Goffin en a, du talent, en a toujours eu. Mais, pendant quelques mois, quelques années, il n’a pas réussi à l’utiliser, à le laisser s’exprimer. D’aucuns l’ont démoli, d’autres s’en sont moqué, des crétins, enfin, l’ont insulté.

Mais le talent de David a toujours été là. Comme il l’était en 2012, quand il a rencontré Roger Federer en étant lucky loser en huitièmes de finale à Roland Garros. Comme il était là en 2014 quand, déjà redescendu au classement mondial, il a enchaîné titres et succès. Comme il était formidablement présent en 2017 quand il a battu… Novak Djokovic en quart à Monte Carlo et, en fin de saison, Roger Federer et Rafaël Nadal (Photo) au Masters de Londres.

Comme quand il a éclaboussé les parcours de Coupe Davis en 2015 et, surtout, en 2017.

Alors oui, par la suite, ce talent pur s’est un peu éclipsé car il ne peut s’exprimer que lorsque la confiance et la quiétude sont présentes elles aussi.

Mais, depuis Roland Garros de cette année, depuis aussi le challenger d’Ilkley et Wimbledon et, encore plus, depuis la saison américaine, David a retrouvé cette sérénité et cette confiance. Il a retrouvé le chemin de son propre talent et il aligne les succès face à des joueurs du Top mondial.

Il faut, là aussi, profiter sans préjuger de la suite.

Talent, sérénité.

Du bonheur pur, encore et toujours.

Alors, non, je ne suis pas triste.

Je savoure.

Comme je savourais les moments précieux quand mon papa médecin sortait de son cabinet pendant Roland Garros. Qu’il me poussait dans le divan pour regarder les matches commentés par Jean-Pol Loth ou Michel deville (ah, ces souvenirs!).

« Je ne regarde qu’un jeu, me disait-il ».

Et les patients attendaient de longues minutes tant il était impossible pour lui de quitter le match de Borg, de Lendl, de McEnroe.

Triste?

Que nenni!

Merci Rafa, merci David, merci papa.