Retour

Lettre ouverte à Roger Federer (et, surtout, à ses laudateurs)

Cher Roger,

La première fois que je t’ai vraiment croisé, c’était en 1999, lors d’une Coupe Davis (tu sais, la vraie Coupe Davis, qui se jouait sur trois jours et en cinq rencontres ?).

Cette Coupe Davis se tenait à Bruxelles, la Belgique recevant la Suisse. Tu as certes perdu tes deux simples (contre Xavier Malisse et Christophe Van Garsse) mais ton talent était si évident que l’on se doutait bien que, la  fois suivante, les Belges auraient eu de plus grandes difficultés à te battre, même si cela n’enlève rien aux prouesses de l’époque de Xavier et Christophe.

Ensuite, cher Roger, comme tous les amoureux de tennis, j’ai suivi avec ravissement ta carrière et tes victoires.

De jours en jours, de semaines en semaines, de mois en mois et d’années en années, je n’ai jamais cessé d’être estomaqué par ta capacité à reproduire à l’envi le geste parfait. De voler sur le terrain, de proposer des coups venus d’ailleurs.

J’ai toujours été – et je le suis encore – un fan absolu de ton tennis. Et j’ai un énorme respect pour le joueur que tu es.

Tu resteras, bien évidemment, sur le Mont olympe du tennis.

Cher Roger, tu dois être surpris de lire ce que je viens d’écrire et, plus encore que toi  J, les habitués de ce blog vont peut-être me dire que je retourne ma veste, persuadés que je ne t’apprécie pas, que je préfère d’autres joueurs.

Ils se trompent, mais je comprends pourquoi ils sont dans l’erreur.

Contrairement à certains collègues (ou ex-collègues), je ne suis pas un de tes laudateurs. Pas parce que je ne suis pas ébahi par ta carrière et ta manière de te mouvoir sur le court. Non, je ne suis pas un de tes trop nombreux laudateurs parce que, oui, si je t’aime énormément, j’aime aussi d’autres joueurs.

Et pas depuis hier puisque je suis tombé dans la marmite du tennis quand j’avais 12 ou 13 ans, soit dans les années 70.

Je ne suis pas un de tes laudateurs parce que je me tue à dire, depuis des années – et je continuerai à le faire – qu’il n’y a pas de GOAT, qu’il n’y en a jamais eu et qu’il n’y en aura jamais.

De  même, je déteste quand un sportif, quel qu’il soit, devient une icône intouchable.

Attention, je ne dis pas que c’est à cause de toi que je dis que tu es intouchable. Je parle de ceux qui te vouent un culte et qui font que l’on ne peut même plus, depuis quelques saisons, t’égratigner quelque peu.

Ainsi, quand tu as soutenu la création de la Rod Laver Cup, j’ai écrit un papier sur mon blog disant que ton soutien risquait de faire du tort à la Coupe Davis. Pour la première fois depuis la création de mon blog en 2006, j’ai été obligé de retirer mon article tant tes fans m’insultaient.

A cause d’eux, tu es devenu une icône et, pour eux, j’ai à plusieurs reprises essayé de remettre les choses à leurs places.

Ainsi, alors que tu approchais de ton 20e sacre en Grand Chelem, j’ai plusieurs fois écrit que cela ne faisait pas de toi, mathématiquement, le fameux GOAT. Car, sinon, on devrait dire que Margaret Smith Court est la GOAT féminine, alors que chacun sait que ce n’est pas vrai (et pour cause, puisqu’il n’y a pas de GOAT).

J’ai aussi souvent écrit que Rafaël Nadal et/ou Novak Djokovi étaient, eux aussi, des joueurs extraordinaires.

On me rétorquait alors que, oui, évidemment, l’Espagnol et le Serbe étaient des grands champions mais qu’ils n’avaient pas ta classe.

Qu’ils ne pratiquaient pas le même tennis que toi.

Que toi, tu étais le tennis.

Je ne suis pas d’accord avec cette antienne.

Je ne suis pas d’accord parce que le tennis n’est pas le patinage artistique.

Au patinage, oui, on cote la forme et la manière de se comporter. On note la classe d’un patineur.

Au tennis, seul le score compte.

Et, si j’adore te voir évoluer et si j’admire, je le répète, la manière dont tu inventes les coups, j’ai aussi une admiration sans faille pour ce diable de Nadal et, aussi, pour la régularité inouïe de cet autre diable qu’est Djoko.

Quand je lis depuis l’annonce de ton départ que tu es le joueur qui a le plus marqué le tennis, je suis obligé, à nouveau, de m’inscrire en faux.

Tu as marqué l’histoire contemporaine du tennis, c’est une évidence.

Mais, moi qui ai connu l’épopée de Bjorn Borg, je ne peux pas dire que tu as plus marqué le tennis que le Suédois.

J’ai aussi suivi de très près la saga André Agassi et on ne peut pas nier qu’il a marqué les esprits.

Pas de la même manière que toi, mais son impact, comme le tien, a été sidérant.

On dit aussi que tu es le joueur qui a le plus de classe depuis que le tennis existe.

Je déteste ce genre de propos car les images des joueurs d’avant l’ère open sont assez peu nombreuses et peu nombreux sont ceux les regardent. Mais, si je peux me permettre, j’ai eu le plaisir de voir jouer Arthur Ashe  ou Adriano Panatta, et je pense qu’ils avaient, eux aussi, une classe naturelle. Sans parler de Rod Laver, à qui tu voues, je pense, une admiration sans borne.. Et je pourrais en ajouter des dizaines d’autres dont Pete Sampras, Tom Okker, Stefan Edberg….

Le hic, cher Roger, c’est qu’en écrivant ces lignes, je sais que je risque de me faire critiquer (au mieux).

Tout simplement parce que ceux qui te vénèrent ne supportent pas qu’un ‘observateur’ ne t’estime pas au-dessus du lot.

Ils ne supportent pas que l’on te critique, ne fut-ce qu’un tout petit peu.

Ainsi, tu as, par exemple, depuis quelques années, un jet privé que tu utilises parfois pour tes déplacements. Si tu avais été footballeur ou si tu t’appelais Djokovic, on t’assassinerait sur le net.

Mais voilà, tu es Roger Federer.

Cher Roger, tu vas me manquer.

Tes duels épiques face à Nadal ou Djokovic vont me manquer.

Mais, comme l’a dit Nadal il y a quelques semaines, aucun joueur ne dépasse le tennis.

Je suis d’accord avec lui. Le tennis est au-dessus de tous. Y compris de toi.

A condition, bien sûr, que les quelques décideurs qui gèrent le tennis ne continuent pas à le détricoter comme ils le font trop souvent.

Et, en ce sens, je le redis, ce que l’on est en train de faire de la Coupe Davis – sans que tu ne réagisses fortement – est désolant car la Vieille Dame était, comme la Ryder Cup en golf ou comme l’America’s Cup en Voile, l’une des garantes de la pérennité de ce sport fantastique qu’est le tennis.

Alors, oui, Roger, je vais te le dire. Je t’aime, je t’ai toujours aimé.

Mais tu n’es pas le seul tennisman à habiter mon cœur de passionné.

Bon vent à toi.

Vive le tennis.