Mon ‘histoire’ avec le Léopold commence en 1957.
En août 1957 pour être exact.
Je n’étais pas encore né, mais il s’agit d’un récit que mon papa amateur de tennis m’a raconté par la suite.
A la veille de son mariage, il avait en effet décidé de se rendre au Léo pour la finale européenne de Coupe Davis entre la Belgique et l’Italie.
Il me l’a racontée souvent, cette histoire, ajoutant que les matches avaient été tellement longs que, le lendemain, jour dudit mariage, il avait un torticolis tant il avait dû dodeliner de la tête pour suivre les exploits de Washer et Brichant.
Je n’ai jamais su s’il en rajoutait un peu ou si c’était la réalité et, en vérité, cette version m’agrée.
Je ne savais évidemment pas à cette époque – et pour cause puisque je suis né quatre ans plus tard – que le Léo – et le tennis – feraient partie de ma vie.
Plus tard, toujours avec mon paternel, je me souviens avoir été voir quelques finales du Championnat de Belgique. Quand ces championnats attiraient encore les meilleurs joueurs du Royaume et la toute grande foule.
Ma mémoire n’étant plus ce qu’elle était, je n’oserais pas dire quels sont les matches que j’y ai vus mais je sais que j’y ai vécu un ou plusieurs matches entre Bernard Mignot et Patrick Hombergen. Ce dernier maniait l’amortie avec délice et je dois bien dire que ce coup s’est installé ad vitam dans ma panoplie.
Plus tard encore, bien plus tard, je suis devenu journaliste tennis et j’ai donc été amené, pour mon plus grand plaisir, à aller au Léo soit pour la Coupe de Borman, soit encore pour les championnats de Belgique avant que ces derniers ne perdent de leur valeur et de leur prestige, soit encore pour des rencontres de Coupe Davis.
Ma mémoire me fait souvenir de Thierry Stévaux (ah, lui aussi, ses amorties), de Bernard Boileau, évidemment, de Nicole Mabille, puis de Sandra Wasserman, Ann Devries, Bart Wuyts, Xavier Daufresne…..
Et évidemment de Dominique Monami, Sabine Appelmans, Filip Dewulf, Johan Van Herck, Kris Goosens, Christophe Van Garsse….
Puis encore d’une certaine Justine Henin qui, à à peine 15 ans, allait remporter ces championnats et vaincre son aînée Dominique Monami lors d’une édition qui reste dans les mémoires, dont la mienne car j’adorais Dominique (que j’adore toujours) et que je connaissais très bien Justine (que j’adore également).
Rassurez-vous, je ne vais pas vous conter par le menu tous mes souvenirs léopoldiens mais vous me permettrez de faire un petit retour en arrière car, sur le tard, ma maman (l’épouse de mon papa qui était là la veille de son mariage :-) m’a confié qu’elle avait été membre du Léo du temps de sa jeunesse, temps où les enfants n’avaient pas le droit – m’a-t-elle raconté – d’aller dans le même club-house que les adultes.
Le Léopold et moi n’avons pas toujours été grands amis car, du temps où je maniais la plume pour La Libre Belgique, il m’arrivait régulièrement de me mettre en opposition avec ce tennis qui me semblait un peu obsolète, voire même suranné.
Je me souviens de joutes verbales avec les défenseurs de ce qui était le tennis en blanc de l’époque et j’avoue sans honte que ces échanges me manquent car, en fait, ils faisaient partie de la plus belle partie professionnelle de ma vie.
Mais, vous direz-vous, pourquoi nous parle-t-il du Léopold aujourd’hui?
En réalité, si j’ai été des centaines de fois dans ce magnifique club, si j’ai été classé B-15 au tennis, si j’ai joué les interclubs nationaux pendant des années, je n’ai jamais – JA-MAIS – eu l’occasion de jouer sur un de ces terrains historiques.
Jamais, le hasard n’a voulu que je me rende au Léopold, non pas pour travailler ou savourer un match, mais bien pour y jouer.
Lundi, j’ai mis fin à cette incongruité.
Quand j’ai appris que le Brussels Séniors Open allait avoir lieu, j’ai pris langue avec son organisateur, Michel de Marneffe, pour lui demander s’il fallait être un bon joueur de tennis pour y prendre part.
Il m’a d’abord répondu, en gentleman qu’il est, que j’étais un bon joueur de tennis.
Ce qui n’est pas tout à fait faux mais pas tout à fait exact puisque mon jeu était basé sur le physique et non sur la technique. C’est dire que chaque année qui passe m’éloigne un peu de mon mon meilleur niveau.
Mais, a-t-il ajouté, tu peux jouer même si tu n’es pas au top car les catégories vont de 5 en 5 ans et que le Brussels Open est un S200, ce qui le place au deuxième des dix rangs internationaux en termes de niveau.
N’ayant plus pratiqué le tennis depuis cinq ans, j’ai donc recommencé à m’entraîner, dans le seul objectif d’enfin pouvoir arriver au Léo, non pas avec mon stylo de journaliste mais bien avec mon sac de tennis.
Nous voici donc lundi.
Après m’être présenté au juge-arbitre, je descends dans les vestiaires historiques du Léopold. J’avoue avoir écrasé une larme devant les boiseries des différents casiers et en humant l’histoire du tennis belge qui émane de leurs murs.
J’avais déjà été dans ces vestiaires, mais pour y interviewer des joueurs, pas pour m’habiller en tennisman.
Ensuite, j’ai attendu que le match commence.
Le hasard a voulu que je rencontre le… petit-fils de l’ancien président du Léo. Comme si l’histoire voulait me faire un énorme clin d’oeil.
Clin d’oeil encore plus dingue après le match puisque, en devisant avec mon adversaire, nous avons compris que, du côté de notre mère, nous faisions partie d’une même branche d’arbre généalogique….
Je n’ai pas joué sur les terrains principaux mais bien sur le 15, le premier à gauche quand vous entrez.
J’étais assez fébrile en montant sur le terrain. Pas parce que j’avais peur de perdre – mon Dieu non – mais bien parce que je voulais être digne de ce club mythique et de ce terrain sur lequel j’avais suivi tant de matches.
Digne, je pense l’avoir été dans l’attitude mais pas dans le jeu.
Mon adversaire – digne héritier de son grand-père avec son style old fashion et sa faconde rappelant le tennis de château – m’a tout de suite pris à la gorge et je l’ai laissé faire.
Il a mené 6-4 5-1 avant que je commence à me rendre compte qu’il était temps que je réagisse.
Comme dans mon jeune temps, j’ai réussi à serrer le jeu et je suis revenu à 5-5 balle de 6-5 pour moi.
Le match tournait.
Puis, Harold m’a lobbé.
J’ai cru que j’avais encore vingt ans. J’ai couru.
Et ma cuisse a claqué.
Je suis tombé, me suis relevé.
Mais ai dû arrêter.
Reste que ce lundi restera à jamais dans ma mémoire. Comme si, 65 ans après que mon papa soit venu la veille de son mariage, la boucle était enfin bouclée.
Non pas que je ne retournerai plus jamais au Léo.
Mais j’ai, enfin, en effet, foulé un terrain de ce club qui porte si haut les souvenirs du tennis belge.